ChatGPT se mue en assistant d’achat : vers un écosystème intégré

Lorsque ChatGPT a été lancé au grand public fin 2022, il se présentait avant tout comme un outil conversationnel d’aide à l’écriture, à la recherche et à la créativité. Deux ans plus tard, l’application développée par OpenAI change de visage : elle ne se contente plus de répondre à des questions, elle ambitionne désormais de devenir un point d’entrée global dans la vie numérique des utilisateurs. La dernière étape en date de cette mutation est l’intégration d’un système d’achats en ligne directement au sein de l’interface. Une évolution qui soulève autant d’opportunités que d’interrogations.

Des débuts centrés sur la conversation

Dans ses premiers mois d’existence, ChatGPT se présentait comme une intelligence artificielle généraliste, capable d’aider à rédiger un texte, de générer du code informatique ou encore d’expliquer des concepts complexes de manière simplifiée. L’expérience était centrée sur l’échange textuel. OpenAI, consciente de la demande exponentielle, a rapidement décliné son outil en une version payante, ChatGPT Plus, ouvrant la voie à un modèle économique basé sur l’abonnement.

Mais très vite, la simple conversation ne suffisait plus. L’entreprise a commencé à intégrer des fonctionnalités supplémentaires : génération d’images, extensions pour accéder à des bases de données externes, et surtout, un mode “recherche” branché sur le web en temps réel. Ces ajouts préfiguraient déjà une stratégie plus large : faire de ChatGPT non plus un outil parmi d’autres, mais une interface universelle pour naviguer dans le monde numérique.

L’achat direct : un nouveau palier

En 2025, OpenAI franchit un pas supplémentaire en permettant aux utilisateurs d’acheter directement des produits au sein de ChatGPT. Concrètement, un internaute peut demander des recommandations d’articles – vêtements, objets de décoration, accessoires – puis, sans quitter la fenêtre de conversation, ajouter au panier et payer en un clic. OpenAI a déjà annoncé des partenariats avec Etsy et Shopify, deux acteurs majeurs du commerce en ligne, pour alimenter ce nouveau service baptisé “Instant Checkout”.

Ce système repose sur une collaboration technique avec Stripe, le géant du paiement en ligne, via un protocole baptisé Agentic Commerce Protocol (ACP). L’idée est simple : si ChatGPT devient votre conseiller d’achat, pourquoi ne pas lui confier aussi la transaction ? Moins de frictions pour l’utilisateur, plus d’efficacité pour le vendeur, et une commission potentielle pour OpenAI.

Dans les pays où cette fonction est activée, certains utilisateurs ont déjà accès à des carrousels de produits illustrés, à des suggestions personnalisées et à la possibilité de régler directement depuis l’interface. OpenAI insiste sur le fait que ces résultats ne sont pas des publicités sponsorisées mais des recommandations basées sur des métadonnées externes. Néanmoins, le rapprochement avec un modèle de “marketplace” est évident.

Une extension logique du rôle d’assistant

Du point de vue stratégique, cette évolution s’inscrit dans une logique claire. Depuis ses débuts, ChatGPT se présente comme un assistant polyvalent : il aide à écrire un mail, préparer un voyage, comparer des offres. Ajouter une dimension transactionnelle complète cette mission : l’outil n’est plus seulement un conseiller mais aussi un facilitateur d’action.

OpenAI n’est pas la seule entreprise à explorer cette piste. Amazon développe ses propres IA conversationnelles intégrées à son écosystème e-commerce, Google teste des fonctions similaires dans Search et Assistant, et Apple renforce Siri avec des fonctions transactionnelles. Dans ce contexte, ne pas se positionner sur le créneau du shopping aurait sans doute condamné OpenAI à laisser passer une opportunité majeure de monétisation.

Opportunités pour les utilisateurs et les marchands

Pour l’utilisateur final, l’avantage est clair : gain de temps et de simplicité. Demander à ChatGPT : “Trouve-moi une lampe de bureau design, moins de 50 euros, livrable en France d’ici trois jours” et pouvoir l’acheter immédiatement sans naviguer sur plusieurs sites, constitue une promesse d’efficacité difficile à ignorer.

Côté marchands, notamment les petites boutiques en ligne, la visibilité offerte par ce canal peut représenter une opportunité. Intégrer l’écosystème ChatGPT, c’est potentiellement toucher des millions d’utilisateurs sans avoir à investir dans des campagnes de référencement ou de publicité ciblée. Le partenariat avec Etsy illustre cette volonté de donner accès à une offre diversifiée, au-delà des seuls géants du commerce en ligne.

Les enjeux de confiance et de neutralité

Mais cette nouvelle orientation soulève également des questions de fond. OpenAI affirme que les suggestions affichées ne sont pas sponsorisées. Toutefois, le simple fait de contrôler l’interface donne à l’entreprise un pouvoir considérable sur la hiérarchisation des résultats. Quels produits sont mis en avant ? Selon quels critères ? L’utilisateur dispose-t-il d’une transparence suffisante sur ces mécanismes ?

Cette interrogation n’est pas anodine : la frontière entre une recommandation neutre et une publicité déguisée est parfois ténue. Les régulateurs européens et américains observent déjà avec attention l’évolution de ce modèle. Si OpenAI venait à percevoir des commissions sur les ventes, il lui faudrait démontrer que les résultats ne biaisent pas l’accès des consommateurs à une offre concurrentielle.

Vers un “jardin fermé” ?

Un autre enjeu tient à la dépendance potentielle des utilisateurs. Plus les services se concentrent dans ChatGPT – recherche, assistance, paiements, achats – moins l’utilisateur a de raisons de quitter l’application. Ce phénomène, connu sous le terme de “walled garden” (jardin fermé), a déjà été observé avec des géants comme Apple ou Meta.

Dans un tel système, l’utilisateur profite d’une expérience fluide, mais au prix d’une liberté de choix réduite. Les marchands, de leur côté, risquent de devoir se conformer aux règles d’OpenAI pour espérer apparaître dans les résultats de recherche. À terme, c’est l’ensemble de la chaîne du e-commerce qui pourrait être remodelée par ce nouvel intermédiaire.

Des bénéfices mais aussi des zones d’ombre

La dimension sécuritaire est également cruciale. Pour fonctionner, le système d’achat intégré suppose que l’utilisateur enregistre ses informations de paiement au sein de ChatGPT. OpenAI s’appuie sur des partenaires comme Stripe pour garantir la sécurité des transactions, mais la centralisation des données sensibles accentue le risque en cas de faille. Par ailleurs, le rapprochement entre historique de conversations et données d’achat soulève des interrogations sur l’usage de ces informations à des fins de profilage ou de personnalisation commerciale.

Enfin, la question du coût reste en suspens. Si ChatGPT perçoit une commission sur chaque vente, qui en supportera le poids ? Les marchands, au risque de le répercuter sur les prix ? Ou les consommateurs, via des frais cachés ? Pour l’instant, OpenAI insiste sur la transparence et la neutralité de son approche, mais l’équilibre économique de ce modèle reste à clarifier.

Une bataille stratégique à venir

En introduisant l’achat direct, OpenAI ne se contente pas d’élargir les fonctionnalités de ChatGPT : elle s’invite dans un secteur où se jouent des batailles colossales entre Amazon, Google, Alibaba et d’autres géants du numérique. L’IA conversationnelle comme canal de vente pourrait devenir l’un des principaux terrains de compétition des prochaines années.

Si OpenAI réussit à faire de ChatGPT une interface de shopping incontournable, elle disposera d’un avantage considérable : capter non seulement l’attention des utilisateurs, mais aussi une partie de la valeur économique de leurs transactions. Pour l’instant, l’expérience en est encore à ses débuts, limitée à quelques partenariats et marchés tests. Mais les ambitions affichées sont claires.

Conclusion : un assistant qui veut tout centraliser

ChatGPT n’est plus seulement un outil de conversation. En intégrant la dimension transactionnelle, il franchit une étape décisive vers la construction d’un écosystème complet, où l’utilisateur peut chercher, comparer, décider et acheter sans quitter l’application.

Cette mutation offre un confort indéniable et ouvre de nouvelles opportunités pour les marchands. Mais elle pose aussi des défis en matière de concurrence, de neutralité et de protection des données. Comme souvent dans l’histoire du numérique, le succès de ce modèle dépendra de l’équilibre trouvé entre innovation et régulation.

Reste une question centrale : les utilisateurs accepteront-ils de déléguer encore davantage de leur vie numérique – et désormais de leurs achats – à une seule et même interface ? Ou préféreront-ils conserver la diversité des plateformes, au risque de perdre un peu en simplicité ? L’avenir de ChatGPT, et peut-être une partie du futur du commerce en ligne, se jouera dans cette réponse.


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